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21 janvier 2012 6 21 /01 /janvier /2012 18:20

Malheureusement faute d'un nombre suffisant de participants, le voyage de l'ARE à Paris est reporté.

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5 novembre 2011 6 05 /11 /novembre /2011 18:59

Le voyage de l'ARE à Paris se profile déjà.

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14 novembre 2010 7 14 /11 /novembre /2010 13:32

Voyage à Paris ces 25, 26 et 27 février 2011

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13 décembre 2008 6 13 /12 /décembre /2008 10:34

 

Vendredi 19 septembre 2008, 20h, dans le hall d’entrée d’une université de province…Les gens étaient venus en nombre malgré les centaines de courriels et les annonces d’annulation. Un bandeau noir donnait à la belle affiche bleue annonçant sa venue comme un air d’avis nécrologique.

 

-Non Madame, Non Monsieur, Elle ne viendra pas ce soir !

-Reviendra-t-elle plus tard ?

- Nous n’en savons rien, nous l’espérons.

-Est-ce grave ?

-Non, Elle va bien. Elle va même très bien.

-S’en remettra-t-elle ?

-Certainement, certainement, il n’y a pas de raison de s’inquiéter

-A son âge tout devient mortel…

 

Mais tout est mortel, tout ce qui vit est mortel, la vie est mortelle. Par essence. Vivement qu’ils soient tous repartis…Cent fois j’ai répondu aux mêmes questions. Toutes m’étaient insupportables. Cent fois j’ai menti. Par omission.  Il le fallait bien. Ce soir là fut un grand moment de solitude pour moi et une énorme désillusion pour tous ceux qui étaient venus pour Elle, parfois de très loin. Et tandis que, christique, je prenais chaque fois leur déception et leur inquiétude en pleine face, eux, ne percevaient ni ma rage ni ma honte. Mais je m’en voulais de n’avoir rien vu venir, de n’avoir jamais imaginé que je jouais une mauvaise pièce dans les coulisses du réel. 

Enfin, je me suis retrouvé seul dans le grand hall de l’Université. La salle académique qui aurait dû L’accueillir était maintenant noire et silencieuse. Je me suis assis sur les marches qui y menaient et j’ai ri.  J’ai ri de toute cette journée sur laquelle j’avais tant fantasmé, j’ai ri sur moi-même, j’ai ri sur le monde, j’ai ri sur la vie. Une journée avec Elle, a day with Simone. Un jour, peut-être. Mais en tous cas, ce ne serait pas celui qui venait de s’achever sur un fiasco total.

 J’espère qu’Elle ne mesurera jamais tous les espoirs qu’Elle a déçus, sans le vouloir, sans le savoir et que du haut de ses quatre-vingts automnes Elle continuera longtemps, devenue Immortelle,  le cours royal d’une  formidable existence humaine. C’est vrai qu’Elle est formidable. C’est bien pour cela qu’Elle plaît et déplaît tant ; que le monde entier L’admire. Elle est de ses femmes qui font le monde d’aujourd’hui après avoir vaincu celui d’hier, qui refondent l’humanité après le déferlement de la barbarie nazie. Simone pourquoi n’êtes-vous pas venue ? Simone, pourquoi n’êtes-vous pas venue ce soir-là ?

Oh je sais, il ne pouvait en être autrement, vu les circonstances. Mais est-il déraisonnable de penser que malgré tout, vous auriez pu nous rejoindre ? Il est vrai que vous ne deviez rien entendre à cette histoire, à cette lettre reçue en août, à ce coup de téléphone improbable que j’avais donné quelques jours plus tôt à votre secrétaire. Vous avouerai-je que je suis moi-même désemparé face à cette mésaventure ? Et si j’ai pris la plume ce soir, c’est entre autres raisons parce que moi aussi, je voudrais comprendre le pourquoi et le comment de ce gâchis.

 

Une marraine idéale

 

Tout a commencé un beau jour de février lors d’une réunion qui s’est tenue dans le lycée de province où j’enseigne la philo. Une Collègue nous avait tous surpris quand elle avait annoncé, en fin de réunion, que notre projet de visite des camps de concentration méritait un parrainage prestigieux et que vous viendriez ici en personne. « Simone, c’est une amie de longue date, elle est marraine des Territoires de la Mémoire1, elle a fondé le Mémorial de la Shoah2 et je puis vous dire qu’elle est emballée par ce projet depuis que je lui en ai parlé, chez elle, à Paris.»

L’idée c’était de partir avec les élèves et les anciens de la commune, tous ensemble, générations mélangées. Un voyage initiatique destiné à passer « la mémoire » aux jeunes générations. L’ancienne maire, une vaillante septuagénaire humaniste, avait directement travaillé de son côté pour mettre l’affaire en route.

 « La venue de Simone, c’est mon affaire, je m’en occupe » disait, pendant les mois qui ont suivi, modestement la collègue avec une certaine familiarité mêlée de tendresse. Cette venue prestigieuse devait donc être la cerise sur le gâteau du projet qui nous occupait depuis tant de temps Nous n’avons rien demandé de plus à la Collègue et nous avions pris les choses rapidement en main. Je me rappelle la visite au Rectorat, quelques jours après la réunion. 

« Qui dites-vous, vous êtes certain ? Nous avons essayé de La faire venir à plusieurs reprises, en vain. Nous avions pensé à Elle pour les insignes de « docteur honoris causa m’avait confié la secrétaire du recteur visiblement impressionnée. « En tout cas, je ne raterai pas sa conférence pour tout l’or du monde, mon père encore moins » avait-elle ajouté enthousiaste. Le recteur m’avait personnellement assuré de sa présence et surtout de son aide et de la plus parfaite collaboration de son administration pour cette visite unique.

« Il se dit même qu’Elle pourrait bientôt être reçue sous la coupole » m’avait-t-il confié ravi de cette opportunité pour sa ville et son université.

Rien ne laissait en effet penser qu’un jour nous pourrions L’accueillir. Sauf par un heureux hasard que certains appellent Dieu. Justement, la collègue qui s’est engagée à La faire venir avait vécu près de Dieu  de longues années. J’aurais dû me méfier dès ce jour là, quand elle m’a entraîné dans son conte de fées. 

« Moi, je la connais bien Simone, nous sommes des amies très proches depuis plus de 20 ans » Nous avait-elle dit.

Nous en étions restés babas. Elle ici, dans notre ville, dans notre lycée, dans notre université. C’était gros, c’était énorme. Nous avions applaudi la collègue qui n’est pas n’importe qui. Archéologue de formation, historienne, c’est une lettrée, une femme intelligente, gentille et une grande croyante. Moi, mécréant, je pensais que ces quatre qualités étaient incompatibles. Elle a travaillé pendant 20 ans à Rome, elle était très proche du pape précédent. « Une amie personnelle de son secrétaire particulier » Se plaisait-elle à dire avec un léger sous-entendu. C’est qu’il s’en passe certainement des choses sous les voûtes de la Chapelle Sixtine, dans la chambre de Raphaël…C’est bien connu, l’Enfer et le Paradis sont deux pièces contiguës, suite impériale et céleste, reflets de la vraie vie et pourtant opposées dans l’idéal religieux. Mais ce n’est pas ici le lieu d’une évocation des turpitudes ecclésiastiques et des moeurs vaticanes. Les feuilles de vignes cachent désormais les sexes des anges et les pratiques socratiques ne se lisent qu’à travers les lunettes des érudits de l’histoire de l’art.

C’est donc au Vatican, qui fut son quotidien pendant de longues années, qu’elle aurait rencontré Simone. Plus tard, quand tout fut consommé, il apparut que selon les interlocuteurs et les moments de la confidence, notre collègue avait fourni, de sa rencontre avec Simone deux versions qui, sans être opposées, présentaient néanmoins de légères divergences. Pour les uns, la rencontre avait eu lieu dans les toilettes, pour d’autres, la collègue avait enfermé Simone par inadvertance dans la Chambre des Signatures. Ce qui est certain, quoi qu’il en soit, c’est que la collègue attribuait cette rencontre au hasard pour ne pas dire à la Grâce, deux forces qui, nous l’avons dit plus haut, se confondent dans son esprit. Bref, de ce fait finalement fortuit « serait » née une amitié indéfectible entre la collègue et Simone qui était alors parlementaire et sortait de la présidence du Conseil européen.

 

Un événement

 

La vie de Simone je la connais aujourd’hui par cœur, les élèves aussi. Vous comprenez, on n’accueille pas une personnalité pareille sans se pencher sur sa personnalité, sur sa vie. « Ma Vie » c’est d’ailleurs le titre de son dernier livre. Je l’ai lu pendant l’été, pour préparer sa visite et il m’a bien plu. J’y ai découvert une femme à la franchise coupante, à la modestie écrasante et surtout une formidable politique. En classe les questions fusaient.

-Mais Monsieur, alors, Elle était féministe ?

- En effet, elle a mené un combat essentiel pour l’émancipation des femmes et sa vie fut un exemple.

- C’est rare, une femme pareille ?

-Oui, même de nos jours Si tu veux, je peux même te lire ce qu’elle en pense du féminisme et de sa condition de femme : « Je suis favorable à toutes les mesures de discrimination positive susceptibles de réduire les inégalités de chances, les inégalités sociales, les inégalités de rémunération, les inégalités de promotion dont souffrent encore les femmes. Avec l'âge, je suis devenue de plus en plus militante de leur cause. Paradoxalement peut-être, là aussi, je m'y sens d'autant plus portée que, ce que j'ai obtenu dans la vie, je l'ai souvent obtenu précisément parce que j'étais une femme. A l'école, dans les différentes classes où j'ai pu me trouver, j'étais toujours le chouchou des professeurs. A Auschwitz, le fait que je sois une femme m'a probablement sauvé la vie, puisqu'une femme, pour me protéger, m'avait désignée pour rejoindre un commando moins dur que le camp lui-même »

-Vous voyez, rien n’a changé, les filles sont toujours les chouchous, m’a fait remarquer une grande andouille sympathique que ses condisciples appellent Choco, allez savoir pourquoi.

         En quelques semaines, les élèves, même le fameux Choco, L’avaient découverte, eux qui n’en avaient jamais entendu parler. Ils L’aimaient. Certains avaient même acheté sa biographie, encouragés par les extraits que je ne manquais jamais de leur lire. Le professeur de français utilisait, elle, une interview de L’Express, dénichée sur Internet pour leur faire découvrir une pensée insoupçonnée et insoupçonnable chez une vieille dame. C’est fou comme les jeunes fonctionnent aussi par a priori. Peut-être même plus que les adultes. Un âge, un style d’habillement et vous êtes rangé dans un tiroir, sans grand espoir de changer de case. En ce sens, le parcours de Simone est plus qu’atypique et très désarçonnant, même pour moi.

Juive mais laïque, de droite mais progressiste, ministre de Giscard mais faisant voter la loi qui dépénalisait l’IVG, farouche défenseuse de la mémoire de la Shoah mais européenne convaincue…Autant de paradoxes apparents, selon la « bien-pensance » et l’air du temps. Autant d’attitudes pourtant parfaitement cohérentes de son point de vue et selon son analyse qui a toujours suivi la ligne droite et ferme de l’humanisme.

 C’était donc un personnage historique doublé d’une éminente figure morale qui allait bientôt nous faire l’honneur de sa présence.  

         Quand, en février la Collègue avait émis sa séduisante proposition, j’avais évidemment sauté sur l’occasion pour me porter volontaire à la mise en place d’un programme digne d’Elle. Une conférence à l’école, un banquet avec les autorités, une visite des Territoires de la Mémoire, une grande conférence à l’université, une conférence de presse le lendemain…Sa venue, prévue le 19 septembre, devenait progressivement un événement incontournable pour notre ville. Comme je ne suis pas seulement professeur de philo au Lycée, mais aussi, depuis une vingtaine d’années, correspondant de presse dans un grand journal populaire, j’ai informé mon rédacteur en chef de Sa venue. C’était en avril. Il m’a d’abord regardé avec une lueur dubitative dans les yeux.

-Tu dis Mme Avortement en France ? Tu rigoles ou quoi ?…Une dame pareille, ici dans notre ville, dans notre université… 

-Et pourquoi pas, je te rappelle que notre université a reçu dans un passé récent Arafat, Peres , Rushdie, Badinter et bien d’autres… !

-Tu as raison. Cela me touche peut-être particulièrement parce que je viens de terminer de lire son autobiographie. Je suis toujours sous le charme. J’ai surtout aimé la première partie de sa bio, quand elle raconte l’histoire de sa famille, la guerre, Auschwitz, ses études…Son parcours politique m’a moins intéressé à la fin…Je ne sais trop pourquoi ?

-Parce qu’elle ose y écrire ce qu’elle a réussi, sans fausse modestie ?

-Oui, peut-être, c’est un peu gênant. On est habitué à lire ce genre de propos sous la plume d’un biographe.

-Et bien ce sera le contraire de l’habitude, il faudra, cette fois, attendre sa mort pour lire du mal…d’Elle. S’il y a du mal à en dire…Le meilleur aura été dit !

-Ceci dit, où logera-t-elle ? Tu as déjà réservé ?

-Je ne sais pas encore, je vais prendre des contacts cette semaine.

-Attends, je crois que tout va très vite s’arranger.

Quelques minutes plus tard, une suite était réservée dans le meilleur hôtel de la ville. Le directeur avait même précisé qu’un petit cadeau-surprise L’attendrait.

Il ne me restait plus qu’à rencontrer les responsables des « Territoires de la Mémoire » et tout serait prêt avant les grandes vacances d’été.

Ils étaient, bien entendu, ravis du projet. Nous avons imaginé les affiches, les invitations, on a dressé un planning de la visite, on a évoqué le tournage d’un film puis on s’est quitté en se souhaitant de bonnes vacances et en fixant dans nos agendas la date de la prochaine réunion, en août.

L’année scolaire touchait à sa fin. La collègue profita du dernier week-end de juin, pour faire un saut à Paris, pour déjeuner avec Simone et lui faire part de toutes les bonnes nouvelles concernant sa venue. Ma collègue me promit de lui poser toutes les questions qui me préoccupaient sans en omettre une seule. « Mais c’est un fort caractère, vous savez. Elle est un peu colérique et imprévisible et il faut attendre le bon moment pour lui parler de certaines choses.» , m’avait-elle confié à la salle des profs le vendredi. Je ne la revis malheureusement plus avant la fin de l’année scolaire car elle revint, me dit-elle, fatiguée et souffrante de son expédition parisienne et passa les derniers jours de juin chez elle. « Ce n’est pas bien grave, ne vous inquiétez pas, passez de bonnes vacances. Si je puis me le permettre, je vous contacterai en août. Elle est en forme et tout se passera bien » furent en substance ses mots quand je lui téléphonai inquiet et surtout curieux d’apprendre comment Simone avait répondu à mes demandes. Je n’en sus pas plus.

C’est donc l’esprit serein que je suis parti au bord de la Méditerranée, près de Perpignan pour trois semaines de farniente. Ensuite je suis remonté vers le nord, avec ma petite famille pour passer une semaine chez un ami, au bord du Lac du Bourget. Un mois de repos avec une invitée constante, Simone. En effet, elle ne me quittait plus. Son livre m’avait fasciné, je l’avais relu paisiblement au bord de l’eau, et chaque jour j’imaginais toutes les phases du programme et mon rôle dans tout cela. La principale m’avait demandé de lui préparer ses discours, le recteur avait fait de même. Bref cette visite qui prenait, petit à petit, forme dans mon imaginaire, devenait un véritable viatique car cette histoire, cette non-rencontre avec Simone, risque  de ne plus jamais me quitter même si l’écriture, dit-on, a des vertus cathartique. 

 

Viatique

 

Viatique, ce mot désuet, voire pédant, m’est devenu très fort, je ne sais trop pourquoi, depuis que je l’ai lu sous la plume de Vladimir Jankélévitch. Un philosophe qu’au demeurant, je connais assez mal. Je sais cependant qu’il a tellement souffert, comme Simone, d’être juif en France sous la barbarie nazie qu’il n’a plus jamais lu une ligne  dans la langue de Goethe, ni joué une note de Bach après 45 et la découverte de l’holocauste. Une horreur qu’il n’a pourtant jamais  éprouvée dans sa chair. Rien de cette détestation chez Simone qui pourtant, comme Elle l’écrit avec sobriété dans « Sa Vie », a perdu son père, sa mère, son frère, dans ce cataclysme et  subi dans son corps et dans son âme, ce que ces hommes « par hasard », les nazis, faisaient subir aux Juifs. Simone a enduré dans sa personne ce que Jankélévitch a vécu par sympathie. Une souffrance par procuration que nous éprouvons tous du reste quand nous nous penchons sur les grandes douleurs de l’histoire. Mais en aucun cas, elle ne peut être du même ordre que la souffrance vécue dans le corps et l’esprit. Il  n’empêche que tous deux ont échappé à la Shoah en portant paradoxalement leur survie comme une cicatrice indélébile dans leur âme, comme une infamie.

Revenons au mot « viatique » que j’associe à Jankélévitch et à Paris. je ne manque jamais l’occasion de m’arrêter devant son immeuble quai aux Fleurs et de lire la « plaque » commémorative qui lui est dédiée et qui le cite : «Celui qui a été ne peut plus désormais ne pas avoir été. Désormais, ce fait mystérieux et profondément obscur d’avoir vécu est son viatique pour l’éternité ».

Il m’a fallu du temps pour comprendre cette phrase, pour l’associer définitivement au « On ne se baigne jamais dans le même fleuve » d’Héraclite.

De son appartement, il voyait tous les jours les gargouilles de Notre-Dame, suspendues entre ciel et terre, entre vice et vertu. Symboles pour le sage de la Tentation. Ma collègue a-t-elle éprouvé ce vertige, a-t-elle mesuré l’ampleur du péché à venir ou a-t-elle croqué directement dans la pomme du désir de La faire venir. Le saura-t-on un jour ? Modestement, je sais que mon viatique simonien à moi, devait m’accompagner jusqu’à Sa venue, à la mi-septembre. J’ai partagé ma passion avec mon épouse, mes enfants, mes amis et tous ceux qui comptent à mes yeux. J’allais passer une journée avec elle, une journée qui devait marquer notre école, notre université, notre ville, nos élèves. Moi.

J’ai donc mangé avec Simone, j’ai bronzé avec elle, j’ai roulé à vélo, plongé dans la mer puis dans la piscine de mon ami, au milieu des Alpes, avec Elle. Cette perspective de journée avec Simone, mon Dieu - et comme disait Bunuel : « Je suis athée, Dieu merci ! »- quel bonheur. Je me trouvais dans la peau de l’amoureux transi d’une autre époque pour qui la date du mariage signifiait la découverte d’un autre corps, d’un autre univers, l’exploration d’un continent vierge qu’il imaginait avec une impatience mêlée de crainte, de joie, de jubilation anticipative, voire de terreur cachée.

Et moi, serai-je à la hauteur ? Lui poserai-je les bonnes questions, le programme ne sera-t-il pas trop chargé ? Sera-t-elle en forme ? Quelle réaction aura-t-elle en découvrant le labyrinthe des Territoires de la Mémoire, comment revivra-t-elle ce drame indicible qu’elle veut expliquer aux jeunes pour qu’il ne se reproduise plus. Comment s’adressera-t-elle à eux et aux anciens réunis dans la salle des fêtes du Lycée ?

Je l’imaginais commençant sa visite des “Territoires” par ces mots que j’avais lus dans son autobiographie:  «A nos côtés, tous ces morts qui nous furent si chers, connus ou inconnus, se tiennent en silence. Je sais que nous n'en aurons jamais fini avec eux.»

 

                                       L’horreur sympathique

 

Ces mots que Simone a écrits, elle ne devrait jamais les prononcer devant nous, puisqu’elle n’est pas venue. Mais ils résonnaient encore dans ma tête quand, en octobre, j’ai visité Buchenwald avec les jeunes. Ces lieux empreints de désolation et de barbarie que j’avais sous les yeux entraient en résonance avec les souvenirs de Simone. Et même si elle n’avait en fait jamais connu Buchenwald, elle fut, à chaque instant de cette pénible visite, mon guide. Notre guide. Une émotion terrible m’a étreint quand je suis descendu dans la morgue des fours crématoires, quand j’ai imaginé les corps enchevêtrés, les agonisants pendus aux crochets… J’en avais la gorge nouée et les yeux qui clignaient pour ne pas laisser s’échapper les larmes. Quelques minutes plus tard, au pied d’une souche énorme, le chêne de Goethe selon la légende, je me suis demandé, après tant d’autres, comment un peuple qui avait produit et porté un tel génie de l’humanisme avait pu élire deux siècles plus tard, un monstre tel qu’Adolf Hitler, un homme qui avait voulu, exterminer, avec des millions d’autres, la famille de Simone dont il ignorait même l’existence et qui ne lui avait fait aucun mal.  « Quel fut le sort de mon père et de mon frère? Nous ne l'avons jamais su. Aucun des survivants ne connaissait Papa et Jean. Par la suite, les recherches menées par une association d'anciens déportés n'ont rien donné. De sorte que nous n'avons jamais su ce qu'étaient devenus notre père et notre frère. Aujourd'hui, je garde intact le souvenir des derniers regards et des ultimes mots échangés avec Jean. Je repense à nos efforts, à toutes les trois, pour le convaincre de ne pas nous suivre, et une épouvantable tristesse m'étreint de savoir que nos arguments, loin de le sauver, l'ont peut-être envoyé à la mort. Jean avait alors dix-huit ans. » Raconte Simone avant d’évoquer son arrivée dans l’antichambre de la mort, à Auschwitz-Birkenau, dans la soirée du 15 avril 1944. « Nous avons marché avec les autres femmes, celles de la «bonne file», jusqu'à un bâtiment éloigné, en béton, muni d'une seule fenêtre, où nous attendaient les «kapos»; des brutes, même si c'étaient des déportées comme nous, et pas des SS. » Tout était, dans ces camps de concentration et d’extermination, programmé, pensé, calculé pour déshumaniser les Stücken comme disaient les nazis.

         Mon père disait “les Boches”. C’est ce mot, héritage de 14-18, que j’ai entendu pendant toute mon enfance. Mon père avait vécu l’offensive Von Rundstedt, dans une cave d’un petit village des Ardennes. Il n’avait rien oublié de cette période noire. A Noël, quand il entendait « Stille Nacht » il devait quitter la pièce, submergé par l’émotion. Quand, à l’adolescence, j’ai essayé de lui expliquer que je n’avais, moi, aucune raison d’en vouloir aux jeunes Allemands de mon âge, il m’a regardé avec incompréhension : Tu ne peux pas comprendre, ils reviendront un jour et là tu comprendras mais ce sera trop tard.

J’ai aujourd’hui presque 50 ans; la prophétie paternelle ne s’est pas réalisée, signe encourageant qu’il n’y a pas d’ennemi naturel. C’est moi qui ai franchi la frontière, non pour reprendre la lutte séculaire, mais pour « les » comprendre. J’ai partagé, enfin, la haine et l’effroi de mon père. Cet effroi, je l’ai retrouvé dans les yeux de mes élèves, mêlé à la peur, à la tristesse et la révolte. L’Allemagne a fait un effort incroyable, ces derniers temps, pour lutter contre ses propres démons. Comment certains peuvent-ils affirmer que tout cela n’a pas existé. Si tout était faux, comment expliquer qu’un pays tout entier s’invente la paternité d’une telle et indicible horreur ? Aller à Buchenwald, c’est ôter toute crédibilité aux révisionnistes de tous poils qui prétendent que tout cela n’a pas eu lieu dans le seul but que l’horreur renaisse un jour, plus meurtrière encore. A Buchenwald, par exemple, on montre aux visiteurs un film terrible tourné par les Américains qui ont délivré le camp. On voit, en colonne, les habitants de Weimar, arriver au camp, encadrés par les GI’s. Les gens sourient plaisantent et c’en est indécent pour nous, nous  qui savons. Ensuite, on voit ces mêmes visages confrontés à la réalité, à l’horreur, face à l’inhumain. Comble de la perversion, fallait-il en plus ajouter à la barbarie une couche de cynisme et de grotesque ? Devant l’entrée de ce camps, il y avait un zoo pour les enfants des officiers SS. A deux pas de l’endroit où l’humain était ravalé au niveau de la bête, on choyait des animaux comme des petits d’hommes, pour le plaisir de la progéniture des bêtes fauves aux têtes de mort. Mais ces rejetons de monstres étaient-ils à l’image des pères? Pas plus que les fils et les petits-fils de résistants sont des héros. Comment la jeune Simone a-t-elle résisté à cette horreur, comment un homme peut-il résister un jour à cet enfer ?

« A notre arrivée, il fallait à tout prix nous désinfecter. Nous nous sommes donc déshabillées avant de passer sous des jets de douche alternativement froids et chauds, puis, toujours nues, on nous a placées dans une vaste pièce munie de gradins, pour ce qui, en effet, était une sorte de sauna. La séance parut ne devoir jamais finir. Les mères qui se trouvaient là devaient subir pour la première fois le regard de leurs filles sur leur nudité. C'était très pénible. Quant au voyeurisme des kapos, il n'était pas supportable. Elles s'approchaient de nous et nous tâtaient comme de la viande à l'étal. On aurait dit qu'elles nous jaugeaient comme des esclaves. Je sentais leurs regards sur moi. J'étais jeune, brune, en bonne santé; de la viande fraîche, en somme. Une fille de seize ans et demi, arrivant du soleil, tout cela émoustillait les kapos et suscitait leurs commentaires. Depuis, je ne supporte plus une certaine promiscuité physique. »

Soixante trois ans sans oublier ce traumatisme, soixante trois ans à revivre l’invivable. Comment nous serions-nous conduits, dans cette période sombre  de notre histoire moi et tous ces jeunes qui m’ont accompagné dans ce voyage psychanalytique, au bout de la nuit?

Au milieu de la forêt de Weimar, sous le soleil et dans le froid d’automne j’ai pensé à ce que Simone a écrit sur sa mère : « Maman était déjà très affaiblie par la détention, le travail pénible, le voyage épuisant à travers la Pologne, la Tchécoslovaquie et l'Allemagne. Elle n'a pas tardé à attraper le typhus. Elle s'est battue avec le courage et l'abnégation dont elle était capable. Elle conservait la même lucidité sur les choses, le même jugement sur les êtres, la même stupeur face à ce que des hommes étaient capables de faire endurer à d'autres hommes. En dépit de l'attention que Milou et moi lui prêtions, malgré le peu de nourriture que je parvenais à voler pour la soutenir, son état s'est rapidement détérioré. (...) Elle est morte le 15 mars, alors que je travaillais à la cuisine. (...) Aujourd'hui encore, plus de soixante ans après, je me rends compte que je n'ai jamais pu me résigner à sa disparition. D'une certaine façon, je ne l'ai pas acceptée. Chaque jour, Maman se tient près de moi, et je sais que ce que j'ai pu accomplir dans ma vie l'a été grâce à elle. »

A mes côtés, se tenait mon collègue, professeur d’allemand qui est du reste sa langue maternelle et paternelle. Grand, blond aux yeux bleus, l’Aryen type ;  je l’ai imaginé un instant en uniforme, qu’il me pardonne. Nous avons fait le voyage ensemble, pour des raisons similaires : nous sommes porteurs chacun à notre manière d’un passé que nous n’avons pas vécu.

-Je veux comprendre pourquoi mes deux grands-pères ont pu faire partie de ces monstres, m’a-t-il dit.

-Moi, pourquoi les miens en furent les victimes, ai-je répondu.

A trente ans, il porte encore sur ses épaules la culpabilité d’un drame dont il était pourtant absent. Une sourde culpabilité, manière de pèché originel qu’il ne s’explique pas.

- Ils n’ont jamais rien dit. Le silence, c’est terrible, on peut tout imaginer et le fait d’avoir été des « malgré-Nous » ne suffit pas pour les innocenter.

Quand il a posé la main sur la plaque de métal3 qui se trouve sur la place d’appel  de Buchenwald, quand il a senti la chaleur de la vie qui la réchauffe comme un espoir,  il a compris que notre métier d’homme consiste justement à écrire le présent et l’avenir à la chaleur de la fraternité non dans la névrose obsessionnelle du passé.

Nous sommes revenus de Buchenwald, alourdis d’émotions, porteurs de quelques certitudes historiques et de nombreuses questions sans réponses. Nous avons beaucoup pensé à la responsabilité, à la culpabilité, au poids du passé collectif et au fardeau de notre vie personnelle, aux raisons obscures qui nous font emprunter telle voie et délaisser une autre. Nous avons aussi pensé à Simone qui aurait pu sans doute éclairer un peu notre errance dans les ténèbres de l’histoire et de l’âme humaine.

 

 

L’inimaginable

 

         Simone n’est pas venue en septembre, comme nous l’avions rêvé, car pendant six mois, nous avons cru, peut-être consenti à un scénario imaginaire. Il n’y a pas eu de rencontre au Vatican, ou si elle a eu lieu, ce ne fut que fugitif et sans conséquence. Il n’y a pas eu d’amitié entre la collègue et Simone. Il n’y a pas eu de contact avec Elle, pas de voyage à Paris; rien qu’une lettre qui fut expédiée en août, et quand la date fatidique fut imminente, de pitoyables manoeuvres désespérées pour justifier que l’événement tant attendu ne se produirait pas.

         Confrontés à l’effondrement de nos espérances et l’inutilité de toutes nos démarches, nous avons fait ce que sans doute nous aurions dû faire depuis longtemps : contacter Simone en personne.

C’est ainsi que la vérité nous est apparue : au téléphone, sa secrétaire nous a révélé qu’en effet elle avait reçu, en août, la lettre d’une enseignante qui lui disait, sans autre précision que nous serions heureux de la recevoir. Car, acculée par le temps et les incohérences, la collègue avait fini par alléguer qu’elle avait reçu un coup de fil pour lui annoncer que Simone était tombée gravement malade le week-end précédent.

Ma collègue, ma pauvre collègue, comment avait-elle vécu son enfance, son adolescence ? Pouvait-on y trouver l’explication de son délire d’aujourd’hui ? Son rapport à la mère, trop présente, au père absent, peuvent-ils tout expliquer ? Pourquoi ce désir éperdu de vouloir changer le réel en l’inventant ?

Bien entendu que tous nous avions pensé à Simone Veil en préparant notre voyage dans les camps, bien entendu c’était un projet génial qui tous nous avait fait rêver…Notre rapport aux parents conditionne-t-il définitivement notre rapport au monde ?

        

 

Epilogue

 

«Je suis très seule, vous savez » m’a dit la collègue pour toute explication devant le désastre trois jours avant votre arrivée, Simone. « J’aurais tellement voulu qu’elle vienne », avait-elle ajouté.

         Comment auriez-vous pu savoir, Madame Veil qu’ici, une école, une ville se préparaient à vous recevoir avec tous les honneurs?

Que Vous aurais-je dit quand vous seriez descendue du TGV ?

Cent fois j’ai répété « ma » phrase : « Heureux de vous accueillir, Madame. Je ne pensais pas qu’un jour, je passerais un jour avec vous. » 

Je vous aurais serré la main et j’aurais eu le sentiment de servir l’histoire, la vie, l’avenir.  

                                            Philippe Novalis,  le 28 novembre 2008

 

 

A  Simone Veil qui, à son insu, a joué le rôle principal d’une étrange tragi-comédie



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6 décembre 2008 6 06 /12 /décembre /2008 10:24

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